06/03/2006: Banlieues francesi e rivolte dei ghetti USA: intervista ad Angela Davis
Banlieues de France et révoltes des ghettos US
Angela Davis
Aux cotés de Malcom X et Martin Luther King, Angela Davis est une figure
du mouvement Noir américain. Elle adhère au Parti Communiste vers 18 ans
et devient membre des Black Panthers en 1967. Militante révolutionnaire,
se battant pour l’égalité des noirs et des blancs mais également pour
l’émancipation des travailleurs, elle comprend très vite que seule
l’unité des mouvement sociaux et politiques entre blanc et noir, homme
et femme permettra de combattre la classe dirigeante. C’est cette
compréhension qu’elle paiera en étant condamnée à mort en 1972. C’est
une mobilisation d’une ampleur internationale qui permit sa libération.
Aujourd’hui, elle est toujours militante des luttes sociales et
politiques aux États-Unis.
Quel regard portes-tu sur la révolte des jeunes des banlieues populaires
en France ?
Elle a de grandes similitudes avec les révoltes qui se produisent dans
les ghettos aux Etats-Unis. Les dernières émeutes importantes ont eu
lieu en 1992 à Los Angeles et étaient basées sur le même sentiment de
frustration chez les jeunes noirs américains. On s’aperçoit le racisme y
est pour beaucoup. Aux Etats Unis comme en France ces « troubles » ont
les mêmes origines et nécessitent le même type de réponse même si des
différences existent, du fait des histoires différentes des ghettos US
et des banlieues françaises. Les jeunes exigent du changement social et
la fin de la « ghettoïsation » et des discriminations envers les
communautés de l’immigration post-coloniale. Aux USA, c’est la fin d’un
système issu de l’esclavagisme qui est demandé par les jeunes des ghettos.
Ces révoltes ne sont pas isolées de la lutte globale que des millions de
gens mènent tous les jours. Comme la situation économique, politique et
sociale, dans les quartiers populaire est une conséquence directe des
politiques du FMI ou de la Banque Mondiale, les révoltes spontanées de
nos frères des quartiers sont aussi une réponse à ces politiques.
Comme les dirigeants ont une stratégie globale pour contrôler le monde,
nous devons nous aussi en développer une et la révolte des ghettos doit
en faire partie.
Ce que montre toutes les révoltes qui prennent la forme d’émeutes c’est
la faiblesse des directions politiques. Lors des émeutes de Watts, en
1965 aux USA, c’était extrêmement clair pour n’importe quel Noir
américain qui participait au mouvement des droits civiques de près ou de
loin depuis plusieurs années. Ces émeutes avaient eu une issue positive
avec la création du Black Panthers Party, en 1966, qui était un outil
pour tous ceux qui voulait se servir de leur frustration comme d’une
arme politique.
Tu as passé du temps en prison dans les années 70 et aujourd’hui, tu
t’engages particulièrement dans la lutte contre le système de détention
et la peine de mort aux USA. Quelle est ton analyse à ce sujet ?
C’est le sujet de mon prochain livre, notamment à partir du Patriot Act.
L’industrie d’armement et les institutions militaires sont des éléments
centraux de l’économie américaine, en liaison avec les entreprises, les
médias, les élus et la haute hiérarchie militaire. Là-dedans, les
prisons sont devenues une donnée essentielle de l’économie américaine.
Aux USA, il y a 2 millions de personnes emprisonnées, c’est donc bien
une politique volontariste d’enfermement qui sévit. Cela rentre dans un
fonctionnement économique et politique complexe mais qui se construit
depuis longtemps et qui est issu du système esclavagiste où l’on privait
les gens de leur liberté pour exploiter leur force de travail. La
punition et la privation de liberté sont des armes historiques aux
Etats-Unis, tant sur le plan économique qu’idéologique. Cela permet de
développer la peur, la normalisation des esprits et le racisme. Aux USA,
on peut parler de « complexe industrialo-cancéral ».
Au niveau international, la politique américaine est aussi largement
basée sur ce concept de punition, d’écrasement : la politique de torture
à Abu Ghraib ou Guantanamo est directement issue de la gestion
intérieure des prisons US et de la politique intérieures des USA en
matière de racisme.
La place de l’industrie carcérale devient de plus en plus importante
dans l’économie mondiale. A travers elle et grâce à elle, c’est toute
une idéologie qui est prise comme modèle et c’est face à cela qu’il faut
construire un grand mouvement contre celui qui l’incarne : Bush. La
guerre contre le terrorisme qu’il a lancé a été un tremplin pour
développer cette politique et cette idéologie mais, aujourd’hui, après
les révélations que Katrina a permis sur le racisme, le tout-sécuritaire
et la chasse aux pauvres, cet homme est très affaibli. Nous devons
continuer.
Tu parles de l’esclavagisme comme d’une logique économique et
idéologique encore dominante aux USA. Quel est ton avis au sujet de la
loi du 23 février 2005 qui réhabilite, en France, le colonialisme ?
Le racisme monte. Aujourd’hui, vous êtes sous Etat d’urgence et, je me
souviens de ce que cela signifiait en 1961, alors que j’étais à Paris
pour mes études : les Algériens étaient victimes d’un racisme qui
m’avait fait pensé au système ségrégationniste américain. Dire
aujourd’hui que la colonisation ait pu avoir un rôle positif est abject
et raciste. Malheureusement, ce que cela montre c’est que la poussée de
l’extrême droite est aussi une réalité en France et pas seulement aux
USA. De plus, toute la politique française semble empreinte de racisme,
c’est une question qui va être importante à résoudre pour tous ceux qui
veulent un changement social.
Stanley « Tookie » Williams a été exécuté par injection lundi dernier
(12/12 ndlr) en Californie. A tous ceux qui demandaient sa grâce,
Schwarzenegger, gouverneur de l’Etat, a déclaré qu’il ne pouvait gracier
un homme qui avait dédié ses mémoires à des gens comme Angela Davis,
Georges Jackson, Malcolm X, Nelson Mandela, etc... Après une telle
déclaration, l’exécution de Tookie Williams devient un véritable acte
politique contre le mouvement Noir, non ?
Cette exécution m’a énormément touchée. Depuis que Tookie a été condamné
à mort, en 1981, une grande campagne de solidarité s’est développée aux
USA. J’étais à la prison lundi et j’ai assisté à la déclaration de
Schwarzenegger. C’est la première fois qu’un condamné est exécuté alors
qu’une telle campagne a été menée. Nous ne pensions pas qu’ils feraient
l’injection parce que le cas de Tookie a relancé la polémique sur la
peine de mort. La fin de sa déclaration disait qu’il ne pouvait gracier
quelqu’un qui prônait la violence comme programme politique. La peine de
mort s’est révélée comme l’outil politique violent qui sert de réponse
aux problèmes de la société que soulevaient, concrètement et
symboliquement, Tookie.
C’est effectivement un acte politique de la part de Schwarzenegger
contre le mouvement international pour la libération noire et son
histoire surtout qu’il a également cité Nelson Mandela. Schwarzenegger
l’a cité comme une personne dont on ne peut parler comme un héros alors
que cet homme est un héros pour la majorité des peuples du monde entier.
En citant Mumia Abu Jamal et d’autres personnes qui incarnent
aujourd’hui l’insoumission, il fait un procès à toute la résistance à sa
politique qui est la même que celle de Bush. C’est là qu’il montre le
lien qui existe entre la peine de mort et la guerre contre le terrorisme.
Tu te définis comme une militante féministe. Que signifie être féministe
aujourd’hui et quelles sont les tâches actuelles du mouvement féministe ?
Ce sujet me tient beaucoup à coeur. Mais je te préviens, ma définition
du féminisme n’est pas très conventionnelle. Je vois le féminisme comme
un outil, pas seulement pour aborder les questions femme mais pour
aborder toutes les questions politiques sans être déterminé par les
frontières idéologiques établies par le système capitaliste. Par exemple
je n’ai aucune lutte ou analyse commune à développer avec Condolezza
Rice qui est pourtant une femme noire comme moi. Pour moi, il faut
penser ensemble le genre, la race, la sexualité et la classe. Il ne
faut pas considérer comme séparés dans les luttes, les problèmes des
hommes et ceux des femmes.
Le féminisme est pour moi un outil d’analyse qui me permet, par exemple,
de faire le lien entre la peine de mort aux USA et la guerre contre le
terrorisme. De considérer le rôle des femmes comme le même que celui des
hommes et surtout de nous sortir des schémas du système qui nous pousse
à nous identifier à une catégorie sexuelle, raciale ou autre qui ne
permet pas de résoudre la contradiction dans laquelle je suis face à
Condolezza Rice. Logiquement, et c’est une bataille féroce dans le
mouvement féministe, je suis contre les schémas du féminisme se
réclamant de l’ »universel », de la lutte dans l’intérêt de toutes les
femmes. En effet, dans ces cas là, « universel » veut dire « blanche »
et, cela n’est donc absolument pas universel.
Je puise cette analyse dans le mouvement féministe historique et surtout
dans le marxisme. Mon objectif est de construire le socialisme et le
marxisme est l’outil qui permet cela dans la vie et les luttes de tous
les jours.
Aujourd’hui encore, interviewer Angela Davis est un événement pour
n’importe quel militant parce que tu fais encore partie, après des
années et des années, du camp de ceux qui luttent contre ce système.
Quel est ton moteur ?
Je ne suis pas une icône, je suis comme n’importe quel individu qui
lutte mais, si une image me colle à la peau c’est celle du mouvement
Noir. Si c’est ça qui fait d’une rencontre avec moi un événement alors
c’est que la lutte que nous avons menée pendant des années est toujours
une inspiration pour la jeunesse d’aujourd’hui et que nous n’avons rien
fait en vain.
C’est cette jeunesse qui est mon vrai moteur depuis des années. Ça l’a
toujours été, même lorsque j’étais jeune moi-même. Aujourd’hui, on
assiste à une grande effervescence intellectuelle et politique chez une
jeunesse qui réinvente des stratégies originelles et créatrices pour
changer le monde, c’est ça qui me porte. Cette jeunesse veut changer le
monde et le socialisme a besoin de ces luttes pour se construire. Mon
objectif n’a pas changé et la jeunesse est plus révoltée et plus
créative que jamais. C’est elle qui me permet de continuer à avancer.
Propos recueillis par Sarah [Saint Denis]
Bibliographie d’Angela Davis et du mouvement noir américain
Angela Davis, Femme, race et classe, Edition du M.L.F.
Angela Davis, Autobiographie, Livre de Poche.
Carles et Comolli , free jazz black power, Folio.
George Jackson, les frères de Soledad.
Howard Zinn, une histoire populaire des Etats-Unis, Agone.
Malcom X , ultimes discours, l’esprit frappeur.
Malcom X , autobiographie.
Interview d’Angela Davis publiée dans Red, janvier 2006
http://jcr.apinc.org/article.php3?id_article=1480
http://www.autprol.org/